LA JUSTICE ET LE TEMPS... magnifique sujet de philosophie qui mériterait d’être soumis aux futurs bacheliers ou candidats à toute profession juridique…
Mais rassurez-vous, mon propos d’aujourd’hui ne sera consacré ni à Socrate ni à Platon, encore moins à Descartes, mais plus prosaïquement à mon quotidien professionnel.
Mais, me direz-vous, quel rapport entre cette notion métaphysique qu’est le temps et mon quotidien qui justifie que l’on y consacre une chronique ?
Il y a quelques jours, j’étudiais les résultats d’un énième sondage consacré « aux français et leur Justice » qui confirmait la piètre opinion des premiers sur la seconde.
Parmi les témoignages illustrant cette désaffection, un grand nombre stigmatisait la longueur des procédures, qu’elles soient civiles ou pénales.
Effectivement, engager ou subir une procédure est devenu un travail de longue haleine, l’œuvre de plusieurs années alors synonymes d’inquiétudes et d’angoisses, de l’hypothèque d’un quotidien par définition, déjà dévasté.
En matière pénale, il n’est pas rare de voir les auteurs de délits jugés, un an, 18 mois, voire deux ans après les faits... durant lesquels la victime attendra que réparation lui soit accordée.
Curieusement, si l’on considère les branches les plus sensibles du droit pénal telles la justice criminelle ou la justice des mineurs, le constat est bien pire...
Mais, dans ce dernier domaine, quel sens prend une sanction prononcée deux ans après les faits poursuivis ?
AUCUN si le mineur concerné a commis ce qui est resté une unique erreur de jeunesse dont il sera amené à répondre alors qu’il aura regagné « le droit chemin »...
Me revient en mémoire l’épopée de 7 ou 8 adolescents qui, se trouvant dépourvus de moyen de locomotion au sortir d’une soirée, avaient eu l’idée lumineuse « d’emprunter » des mobylettes du bureau de poste tout proche, pour rentrer chez eux...
Lorsque ces mineurs ont été jugés, tous étaient devenus de jeunes majeurs, responsables et insérés professionnellement, à telle enseigne que, plusieurs d’entre eux avaient intégré l’armée de métier !!!!... et, les juges de se creuser la tête pour trouver une sanction (il en fallait bien une après tant d’années de procédure !) qui n’obèrerait pas leur avenir.
AUCUN non plus si au contraire le mineur a continué sur la voie de la délinquance, fort du sentiment d’impunité que lui a inspiré la lenteur de la justice.
Il sera, quant à lui, jugé pour des faits dont il n’aura même plus le souvenir, noyés au milieu de tant d’autres.
L’effet du temps est, dans ces situations, particulièrement important.
Une sanction est, en effet, d’autant plus efficace qu’elle intervient rapidement avec les faits ; l’infliger plusieurs années après étant, au mieux inutile, au pire totalement contreproductif.
Et dans le domaine qui nous préoccupe, le toujours parent pauvre de la justice qu’est le droit de la famille ?
Un exemple sera plus parlant que de fastidieuses explications.
>> Je rédige une requête pour saisir le Juge...
et j’attends...
j’attends que les mairies concernées me délivrent les indispensables actes d’état civil, que le notaire (qui n’a pas, non plus la même notion du temps que l’avocat...) établisse l’impératif acte liquidatif de communauté en matière de divorce sur requête conjointe, que mes clients remplissent les innombrables attestations sur l’honneur, désormais exigées par le Greffe...
>> Je dépose ma requête au Greffe...
et j’attends...
j’attends la convocation pour une audience qui aura lieu dans 6 mois parce que la juridiction est en sous effectif, parce que sur les 2 Juges aux Affaires Familiales et demi qui la compose, la 1ère est enceinte, le second en arrêt maladie, la 3ème formation et le 4ème sans greffière, cette dernière étant elle-même enceinte, en maladie ou en formation
à cette 1ère audience, un confrère se manifestera pour intérêts et obtiendra un renvoi de mon adversaire... et 6 mois de plus puisque la Juge aux Affaires Familiales n°1 sera sortie de son congés maternité pour entrer dans le congé parental, le n° 2 qui était en formation est désormais en maladie et vise et versa et que, de toute façon, il n’y a plus de greffier du tout...
… alors, je continue à attendre...
>> Le jour « j », 10 ou 12 mois après l’introduction de ma procédure, je me rends à l’audience...
et j’attends...
… j’attends mon tour de plaider, longtemps, très longtemps... souvent des heures, debout dans un couloir allant assurer à intervalles réguliers, à mes clients que, « c’est normal » mais que « oui » ils feraient bien trouver une mamie disponible s’ils ne veulent pas que leurs enfants soient confiés aux services sociaux à l’heure de la fermeture de l’école.
>> Puis, on finit par plaider... mais alors là pas longtemps, pas longtemps du tout, parce que l’on a pas le temps (« vous vous rendez compte, 30 dossiers audiencés ce matin, si tout le monde plaidait aussi longtemps que vous !..... »)... et l’on plaide, l’on plaide qu’il y a urgence, urgence à transférer la domiciliation d’un enfant maltraité, à mettre un terme à une situation de violence, ou à supprimer la pension alimentaire d’un père à bout de souffle financièrement ;
... et on attend...
on attend un jugement qui sera rendu 6 à 8 semaines plus tard et nous sera transmis dans sa version papier 2 semaines plus tard encore...
Pour les plus courageux : la Cour d’appel...
et le parcours du combattant reprends. Je n’ose évoquer la saisine de la Cour de Cassation... vous ne me croiriez de toute façon pas.
Et ce domaine également, l’écoulement du temps pèsera sur l’issue de la procédure.
Il exacerbera les passions et les rancoeurs, verra la multiplication des incidents et des procédures dites épiphénomènes, éventuellement des procédures pénales, fera grandir des enfants dans des climats de violences et d’incertitudes insupportables et hypothèques pour leur avenir.
A l’inverse le temps en découragera certains qui renonceront à leurs prétentions au profit d’une transaction déséquilibrée, voire inique, mais rapidement conclue.
Il deviendra le « bon conseiller » de parents qui s’inscrivent dans l’apaisement, le constat fait des dégâts déjà occasionnés par des débats violents et stériles.
Que l’on se comprenne bien, encore une fois... la présente n’a pas pour objet de clouer au pilori des Magistrats et des Greffiers qui, tout autant que nous, font ce qu’ils peuvent pour que la « machine tourne », même avec quelques grincements.
Mon propos est simplement de vous amener à considérer que, tout autant que les courants doctrinaux, les revirements jurisprudentiels, la personnalité des Magistrats, les données de votre propre dossier, auront une influence sur l’issue de celui-ci.
Il est un paramètre important, avec lequel vous devrez compter et composer et qu’il vous appartiendra intégrer en tout état de cause dans vos prévisions.
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