Ce blog est pour moi l’occasion de dénoncer certaines évolutions, voire parfois dérives de notre institution judiciaire largement entendue.
Il en est pourtant une dont je ne me suis jamais ouvert et qui vous concerne, vous qui me faites l’honneur de me lire, peut-être la confiance de me consulter, vous qui, demain ou après- demain, aurez à vous confier à l’un de mes confrères.
Il s’agit de la perte ou de l’indispensable confiance entre un avocat et son client.
Je considère que dans le domaine du droit qui est le mien, peut-être plus que dans tout autre, hors le domaine médical, la gestion d’un dossier relève d’un travail d’équipe.
Et comme dans toute équipe, la confiance est le ciment nécessaire entre ceux qui la composent.
Chacun doit apporter toutes ses compétences dans la spécialité qui est la sienne et placer toute sa confiance dans les compétences de l’autre.
Or, voilà là où le bât blesse : pour qu’une équipe fonctionne, en l’occurrence le "binôme", le tandem que nous composons vous et moi, il faut que chacun ait conscience de ses propres valeurs mais également des limites de ses compétences et fasse preuve de l’humilité nécessaire à l’écoute et au respect des conseils, voire des consignes de l’autre en qui il a choisi de placer sa confiance.
Certes, nous avons toujours vu dans nos cabinets des clients que l’angoisse ou le désespoir rendait particulièrement réceptifs aux avis de tous ordres, émis par des amis, de vagues relations, leur belle-sœur ou les cousins de leur concierge ou encore à la lecture des "conseils juridiques" qui fleurissent dans les journaux de vulgarisation.
Lequel d’entre nous n’a jamais vu arriver une cliente portant triomphalement un article de "Marie Claire" ou "Femme Actuelle" censé guider votre travail et nous ouvrir la voie à suivre.
Il nous était alors toutefois aisé de convaincre ces clients de ce que chaque situation était différente des autres, que la solution de l’une n’était pas nécessairement celle de l’autre et qu’en tout état de cause, les conseils ainsi donnés étaient tellement généraux que sans intérêt... lorsqu’ils n’étaient pas inexacts.
C’est parce qu’à cette époque encore peu éloignée, la confiance envers son avocat était absolue, au demeurant tout comme celle que l’on plaçait dans son médecin, son enseignant mais aussi son boucher, son pâtissier ou son plombier, tous hommes de l’art excellant dans des domaines qui n’étaient pas le nôtre.
La médiatisation à outrance, voire caricaturale de certains manquements, de certaines carences, d’un certain nombre d’erreurs, plus généralement l’évolution de la Société vers une méfiance généralisée ont eu raison de ce sentiment de confiance qui permettait au client de se délester un peu du fardeau qui était le sien, à son avocat de travailler avec sérénité.
Aujourd’hui et comme on nous l’enseigne tout au long de notre formation, plus que jamais, notre premier ennemi est notre client.
Je passe bien sûr sur ceux qui testent sur nous, leur premier interlocuteur, les mensonges qu’ils ont bâti à l’attention finale du magistrat ; ils ont toujours existé et nous les démasquons facilement pour les placer face à leurs responsabilités.
A toujours existé également le plaideur particulièrement inquiet ou désagréablement indélicat qui, alors qu’il a confié son dossier à un avocat, éprouve le besoin d’en consulter un second pour vérifier les informations et les conseils qui lui sont donnés par le premier et bien évidemment à l’insu de celui-ci.
Mais ce n’est pas tellement de cela qu’il s’agit.
Il s’agit plus exactement d’une méfiance généralisée qui, doublée d’une volonté de tout maîtriser font que de plus en plus de plaideurs entendent imposer leurs idées, leurs analyses, leur stratégie, voire leur vocabulaire à leur avocat.
Nous avons au cabinet pour usage d’adresser à nos clients un projet, généralement particulièrement abouti, des conclusions que nous déposerons à leurs intérêts devant la juridiction saisie.
Il s’agit pour eux, et c’est là chose tout à fait normale, de prendre connaissance de l’argumentation que nous développerons, de son articulation, des illustrations que nous y apporterons et le cas échéant, d’y porter quelques petites modifications, voire de corriger certaines erreurs.
Or, il n’est pas rare aujourd’hui de voir revenir nos projets totalement bouleversés, mutilés, raturés à un point tel qu’ils perdent parfois toute identité...
Il est certes des corrections ou des ajouts tout à fait pertinents et c’est là que la collaboration entre un avocat et son client à laquelle je faisais référence au début de cette chronique, prend tout son sens.
Mais il en est d’autres qui sont sans intérêt, voire de nature à indisposer le Juge et que nous nous devons d’écarter.
Il est des stratégies utiles à mettre en œuvre, certaines qui le sont moins, d’autres qui ne le sont pas du tout.
Des attitudes qu’il convient d’adopter, d’autres d’éviter, des arguments qu’il est indispensable de développer, d’autres impératifs de taire.
Et seule notre formation universitaire puis professionnelle, notre pratique quotidienne, notre expérience, nous permettent de déterminer ce qu’il convient, ou non, de faire.
Et pour cela, vous DEVEZ faire confiance en votre avocat.
Certes, il n’est pas question d’une confiance aveugle qui place "l’ignoran" entre les mains du "savant" qui impose son savoir sans l’expliquer à une "victime" désemparée et désarmée, mais de nous laisser exercer notre rôle, la mission dont vous nous avez au demeurant chargé, à savoir défendre vos intérêts.
En tant que professionnel, nous devons, et c’est notre déontologie qui nous l’impose, exercer à votre profit un DEVOIR DE CONSEIL qui précèdera et accompagnera tout au long de la procédure la mise en œuvre de toutes nos compétences.
Alors ce devoir de conseil, laissez-nous l’exercer, sachez entendre des propos auxquels vous ne vous attendiez peut-être pas, des explications qui vous étonneront peut-être mais qui, toujours, seront formulées dans votre seul et unique intérêt.
Et pour que ces conseils soient utilement donnés, et ce sera là votre apport à notre collaboration, exposez-nous votre situation sans crainte, sans honte, sans complaisance afin qu’au-delà de l’appréciation de votre personnalité, qui compte elle aussi, nous soyons en mesure de devancer la stratégie adverse.
Vous l’aurez compris, même à l’heure d’internet (j’ai vu il y a quelques jours un reportage consacré aux "cyber-condriaques" qui m’a fait froid dans le dos et me fait redouter les cyber-justiciables, espèce elle aussi en voie de développement), des sms et des mails, rien ne remplacera un dialogue franc, honnête et loyal avec votre Conseil, base de ce travail d’équipe qui vous permettra d’affronter juridiquement et moralement une situation à laquelle vous n’étiez certainement pas préparé.
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