Au cours de mon année de formation professionnelle, j’ai, comme tous mes congénères de l’époque, effectué un stage en juridiction, en l’espèce au sein de l’une des plus prestigieuses chambre de la Cour d’Appel de PARIS.
Je sortais alors de cinq années de Faculté, pétri des grands principes du droit, maniant avec aisance le raisonnement analytique, avec plus de dextérité encore le raisonnement synallagmatique tout en manifestant une défiance de bon aloi à l’égard du raisonnement par analogie.
Le deuxième – le raisonnement synallagmatique – est celui qui est censé rendre le droit si simple et source d’égalité entre tous puisque c’est celui qui nous fait partir d’un principe certain, posé par une règle de droit pour aboutir à son application concrète aux divers cas qui nous sont soumis.
Pour moi la règle était donc claire : le Loi, quelle qu’elle soit, pose une règle de droit claire, nette et précise, applicable à des situations qui le sont tout autant et... la messe est dite, le résultat est quasi mathématique.
Fort de cette connaissance théorique, je participais durant ce stage, avec beaucoup d’attention et de respect, aux côtés des magistrats, aux audiences de plaidoirie puis, ensuite, avec plus d’intérêt encore, au délibéré c'est-à-dire au moment suivant immédiatement l’audience aucours duquel les juges échangent leurs points de vue et analyses des dossiers qui vienne de leur être soumis afin d’en dégager la solution.
A l’occasion de l’un de ces moments intellectuellement passionnant, l’un des conseillers remarquait un froncement de sourcils de ma part qui traduisant une incompréhension du mécanisme de pensée mis en œuvre à l’occasion de l’un de ces dossiers.
En effet, les magistrats venaient, avec un bel ensemble, de donner le sens de leur arrêt, sans avoir déroulé le raisonnement leur ayant permis d’y aboutir, arrêt rendu beaucoup plus en équité qu’en droit, au contraire de tout ce que l’on m’avait appris durant 5 ans.
Ce magistrat, rompu à plusieurs (dizaines d’) années de pratique comprit immédiatement mon trouble et me dit en souriant : "Et oui, il arrive ici que l’on tranche d’emblée le litige dans un sens ou dans un autre, sauf à, ensuite, habiller juridiquement la solution retenue "...
Ainsi donc, la pratique prenait-elle, au moins de temps en temps, "les choses à l’envers " et posait la solution qui lui paraissait la plus juste avant que de "l’habiller de droit " plutôt que d’appliquer le raisonnement synallagmatique de circonstance.
Quelques (dizaines d’) années de pratique plus tard, je me rends compte qu’effectivement, les grands principes du droit sont parfois, sinon piétinés, du moins écartés au profit de raisonnements en équité.
Un exemple très récent vient de me le confirmer.
Un papa vient récemment me trouver m’indiquant avoir, quelques mois plus tôt, divorcé d’avec son épouse, sur requête conjointe, soit au terme d’un accord parfait conclu entre les époux sur l’ensemble des conséquences de leur séparation et avoir accepté, dans ce cadre, des contributions financières à l’entretien et l’éducation des enfants communs particulièrement exorbitantes.
En réalité, il semblait que cet homme ait voulu, comme il arrive fréquemment, "acheter " rapidement sa liberté et que, dans ce cadre, il ait "surapprécié " ses capacités financières.
Toujours est-il que cet homme ne pouvait en aucune manière continuer à supporter cette pression financière qu’il avait pourtant acceptée censément en toute connaissance de cause, quelques mois plus tôt.
Je l’avisais donc de la possibilité pour lui de saisir à nouveau le Juge aux Affaires Familiales pour voir réviser ces pensions, avec toutefois l’obstacle de taille que représentait la nécessité, pour ce faire, d’établir la réalité d’un élément nouveau.
En effet, lorsqu’une décision de justice, surtout lorsqu’elle homologue un accord entre les parties, est particulièrement récente, le Juge ne peut en modifier les termes que pour autant que soit survenu un élément nouveau dans la situation de l’un ou l’autre des parents ou encore des enfants.
Tel n’était de toute évidence pas le cas en l’espèce, les revenus des parents étant restés inchangés depuis le Jugement de divorce, tout autant que la situation des trois enfants.
Peu importe, cet homme, totalement asphyxié financièrement, souhaitait "tenter sa chance ", malgré mes nombreuses mises en garde...
Bien lui en prit...
Le Juge aux Affaires Familiales vient en effet de réduire, de façon particulièrement sensible, ses pensions alimentaires au terme d’une décision... dépourvue de motivation pertinente...et totalement contraire à la règle de droit applicable !
Là encore, comme mon conseiller à la Cour il y a trente ans, le magistrat a considéré que la délicatesse de la situation financière de cet homme justifiait que celle-ci soit revue au prix d’un léger petit coup de canif à l’exigence légale d’un élément nouveau...
Quelques jours plus après le prononcé de cette étonnante décision, l’une des mes collaboratrices se trouvait devant la Chambre de la Famille d’une Cour d’Appel du Sud de la France afin d’y plaider le énième épisode d’un dossier ouvert il y a cinq ans et dont l’enjeu, outre financier, était la résidence des deux filles du couple.
Conformément à la Loi, ces deux jeunes filles, aujourd’hui âgées de 10 et 14 ans avaient sollicité leur audition par la Cour, auditions qui se déroulèrent donc juste les plaidoiries.
Préalablement à ces dernières, le Président de la Cour nous fît, comme la Loi le prévoit également, une relation de l’audition de Nina et Carla, relation particulièrement alarmiste, s’agissant de l’aînée, Nina, arrivée en larmes et visiblement tendue, lasse de répéter inlassablement, mais en vain, son désir de vivre auprès de son père.
Et notre Président de dire à ma collaboratrice que l’enfant était de toute évidence "à bout de nerfs, et dans une situation de tension désormais insupportable, le tout d’un ton particulièrement sérieux, voire sévère, plein du regret implicite que la jeune fille n’ait jamais été entendue dans son souhait ".
La position de ma collaboratrice qui a pris la parole après ce rapport, contenant en termes à peine voilés le sérieux "recadrage " des parents, fût quelque peu délicate...
En effet, ce magistrat aujourd’hui si soucieux de la parole de l’adolescente, ne se rappelait absolument plus l’avoir entendue trois ans auparavant, à l’occasion de l’une des nombreuses péripéties judiciaires de ce dossier, audition au cours de laquelle celle qui était encore une enfant avait déjà clairement affirmée sa volonté de vivre avec son père.
Toutefois, à cette époque, il était manifeste que la Cour n’avait nullement l’intention d’ordonner le transfert de la résidence si ardemment souhaitée par la fillette, et nous avions eu le sentiment que l’arrêt était rendu avant même que nous n’ayons plaidé : Nina, tout comme sa petite sœur, resterait auprès de sa mère.
Restait toutefois à faire cadrer les teneurs de cette décision et les déclarations de la jeune fille.
Pas de difficultés, la Cour a expliqué que certes, l’enfant s’était manifestée dans un certain sens mais qu’après tout, sa volonté ne faisait pas tout et qu’il ressortait de son intérêt de rejeter la demande de changement de résidence.
Là encore, on prend une décision qui ne cadre pas nécessairement, voire pas du tout, avec les éléments du dossier puis, la décision prise, on l’habille juridiquement et au nom du principe particulièrement flou de l’intérêt de l’enfant.
C’est, me direz-vous, la preuve que la Justice est humaine et pas seulement un applicateur aveugle de règles de droit comme la juridiction pénale n’est pas un distributeur automatique de peines.
Je vous répondrai alors que l’humanité est effectivement une bien grande chose, sauf lorsqu’elle brouille les repères à ce point que l’on ne sait plus bien quelle est la règle...
Je sortais alors de cinq années de Faculté, pétri des grands principes du droit, maniant avec aisance le raisonnement analytique, avec plus de dextérité encore le raisonnement synallagmatique tout en manifestant une défiance de bon aloi à l’égard du raisonnement par analogie.
Le deuxième – le raisonnement synallagmatique – est celui qui est censé rendre le droit si simple et source d’égalité entre tous puisque c’est celui qui nous fait partir d’un principe certain, posé par une règle de droit pour aboutir à son application concrète aux divers cas qui nous sont soumis.
Pour moi la règle était donc claire : le Loi, quelle qu’elle soit, pose une règle de droit claire, nette et précise, applicable à des situations qui le sont tout autant et... la messe est dite, le résultat est quasi mathématique.
Fort de cette connaissance théorique, je participais durant ce stage, avec beaucoup d’attention et de respect, aux côtés des magistrats, aux audiences de plaidoirie puis, ensuite, avec plus d’intérêt encore, au délibéré c'est-à-dire au moment suivant immédiatement l’audience aucours duquel les juges échangent leurs points de vue et analyses des dossiers qui vienne de leur être soumis afin d’en dégager la solution.
A l’occasion de l’un de ces moments intellectuellement passionnant, l’un des conseillers remarquait un froncement de sourcils de ma part qui traduisant une incompréhension du mécanisme de pensée mis en œuvre à l’occasion de l’un de ces dossiers.
En effet, les magistrats venaient, avec un bel ensemble, de donner le sens de leur arrêt, sans avoir déroulé le raisonnement leur ayant permis d’y aboutir, arrêt rendu beaucoup plus en équité qu’en droit, au contraire de tout ce que l’on m’avait appris durant 5 ans.
Ce magistrat, rompu à plusieurs (dizaines d’) années de pratique comprit immédiatement mon trouble et me dit en souriant : "Et oui, il arrive ici que l’on tranche d’emblée le litige dans un sens ou dans un autre, sauf à, ensuite, habiller juridiquement la solution retenue "...
Ainsi donc, la pratique prenait-elle, au moins de temps en temps, "les choses à l’envers " et posait la solution qui lui paraissait la plus juste avant que de "l’habiller de droit " plutôt que d’appliquer le raisonnement synallagmatique de circonstance.
Quelques (dizaines d’) années de pratique plus tard, je me rends compte qu’effectivement, les grands principes du droit sont parfois, sinon piétinés, du moins écartés au profit de raisonnements en équité.
Un exemple très récent vient de me le confirmer.
Un papa vient récemment me trouver m’indiquant avoir, quelques mois plus tôt, divorcé d’avec son épouse, sur requête conjointe, soit au terme d’un accord parfait conclu entre les époux sur l’ensemble des conséquences de leur séparation et avoir accepté, dans ce cadre, des contributions financières à l’entretien et l’éducation des enfants communs particulièrement exorbitantes.
En réalité, il semblait que cet homme ait voulu, comme il arrive fréquemment, "acheter " rapidement sa liberté et que, dans ce cadre, il ait "surapprécié " ses capacités financières.
Toujours est-il que cet homme ne pouvait en aucune manière continuer à supporter cette pression financière qu’il avait pourtant acceptée censément en toute connaissance de cause, quelques mois plus tôt.
Je l’avisais donc de la possibilité pour lui de saisir à nouveau le Juge aux Affaires Familiales pour voir réviser ces pensions, avec toutefois l’obstacle de taille que représentait la nécessité, pour ce faire, d’établir la réalité d’un élément nouveau.
En effet, lorsqu’une décision de justice, surtout lorsqu’elle homologue un accord entre les parties, est particulièrement récente, le Juge ne peut en modifier les termes que pour autant que soit survenu un élément nouveau dans la situation de l’un ou l’autre des parents ou encore des enfants.
Tel n’était de toute évidence pas le cas en l’espèce, les revenus des parents étant restés inchangés depuis le Jugement de divorce, tout autant que la situation des trois enfants.
Peu importe, cet homme, totalement asphyxié financièrement, souhaitait "tenter sa chance ", malgré mes nombreuses mises en garde...
Bien lui en prit...
Le Juge aux Affaires Familiales vient en effet de réduire, de façon particulièrement sensible, ses pensions alimentaires au terme d’une décision... dépourvue de motivation pertinente...et totalement contraire à la règle de droit applicable !
Là encore, comme mon conseiller à la Cour il y a trente ans, le magistrat a considéré que la délicatesse de la situation financière de cet homme justifiait que celle-ci soit revue au prix d’un léger petit coup de canif à l’exigence légale d’un élément nouveau...
Quelques jours plus après le prononcé de cette étonnante décision, l’une des mes collaboratrices se trouvait devant la Chambre de la Famille d’une Cour d’Appel du Sud de la France afin d’y plaider le énième épisode d’un dossier ouvert il y a cinq ans et dont l’enjeu, outre financier, était la résidence des deux filles du couple.
Conformément à la Loi, ces deux jeunes filles, aujourd’hui âgées de 10 et 14 ans avaient sollicité leur audition par la Cour, auditions qui se déroulèrent donc juste les plaidoiries.
Préalablement à ces dernières, le Président de la Cour nous fît, comme la Loi le prévoit également, une relation de l’audition de Nina et Carla, relation particulièrement alarmiste, s’agissant de l’aînée, Nina, arrivée en larmes et visiblement tendue, lasse de répéter inlassablement, mais en vain, son désir de vivre auprès de son père.
Et notre Président de dire à ma collaboratrice que l’enfant était de toute évidence "à bout de nerfs, et dans une situation de tension désormais insupportable, le tout d’un ton particulièrement sérieux, voire sévère, plein du regret implicite que la jeune fille n’ait jamais été entendue dans son souhait ".
La position de ma collaboratrice qui a pris la parole après ce rapport, contenant en termes à peine voilés le sérieux "recadrage " des parents, fût quelque peu délicate...
En effet, ce magistrat aujourd’hui si soucieux de la parole de l’adolescente, ne se rappelait absolument plus l’avoir entendue trois ans auparavant, à l’occasion de l’une des nombreuses péripéties judiciaires de ce dossier, audition au cours de laquelle celle qui était encore une enfant avait déjà clairement affirmée sa volonté de vivre avec son père.
Toutefois, à cette époque, il était manifeste que la Cour n’avait nullement l’intention d’ordonner le transfert de la résidence si ardemment souhaitée par la fillette, et nous avions eu le sentiment que l’arrêt était rendu avant même que nous n’ayons plaidé : Nina, tout comme sa petite sœur, resterait auprès de sa mère.
Restait toutefois à faire cadrer les teneurs de cette décision et les déclarations de la jeune fille.
Pas de difficultés, la Cour a expliqué que certes, l’enfant s’était manifestée dans un certain sens mais qu’après tout, sa volonté ne faisait pas tout et qu’il ressortait de son intérêt de rejeter la demande de changement de résidence.
Là encore, on prend une décision qui ne cadre pas nécessairement, voire pas du tout, avec les éléments du dossier puis, la décision prise, on l’habille juridiquement et au nom du principe particulièrement flou de l’intérêt de l’enfant.
C’est, me direz-vous, la preuve que la Justice est humaine et pas seulement un applicateur aveugle de règles de droit comme la juridiction pénale n’est pas un distributeur automatique de peines.
Je vous répondrai alors que l’humanité est effectivement une bien grande chose, sauf lorsqu’elle brouille les repères à ce point que l’on ne sait plus bien quelle est la règle...
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