Depuis 31 ans, nous gérons, mes collaboratrices et moi, des décisions de justice qui sont parfois surprenantes, et le mot est faible.
Plus le temps passe et plus je tente de devenir philosophe en expliquant à mes clients que mon obligation à leur égard est de moyen et non de résultat.
Ceux qui me connaissent savent qu’il ne s’agit pas pour moi d’ouvrir un grand parapluie mais plutôt d’être suffisamment pédagogique pour éviter à ceux que je défends une immense déception.
Même lorsque les dossiers sont excellents, bien préparés et bien présentés, j’aime à marteler qu’il y a un facteur que personne ne maîtrise : Le Juge
Ce personnage surpuissant, qui n’est responsable de rien devant personne, rend la justice en notre nom, le peuple français.
En matière familiale, il la rend aux cribles de ses convictions personnelles et les résultats sont parfois ubuesques.
Parlons, si vous le voulez bien, d’une décision récemment rendue dans une composition de chambre de la famille dont le président a, depuis des mois, affirmé qu’il était contre la résidence alternée.
Cela marque, à mon sens, un mépris absolu de la loi du 4 AMRS 2002.
L’on peut être restrictif et réservé sur ce mode de résidence, suivant ainsi l’enseignement quasi sectaire de certains pédopsychiatres du Centre de la France
De là à la refuser systématiquement, il y a un monde.
Comme tous les extrémismes, le dogmatisme rend aveugle et conduit parfois des esprits brillants et cultivés à rendre des décisions ineptes.
En voilà une qui vaut son pesant de mêlasses !
Un couple, non marié, fait l’acquisition sous le régime juridique de l’indivision, d’une maison dans laquelle ils s’installent.
Deux enfants naissent de cette relation hors mariage.
L’emprunt de la maison continue à être remboursé mensuellement, à parts égales.
Au bout de 5 ans, une dispute oppose les tourtereaux.
Le concubin quitte la maison, prend un studio et vient me voir.
Je lui conseille, bien évidemment, de rentrer chez lui tout de suite, faute de quoi, selon la bonne vieille tradition instaurée dans les tribunaux, celui qui est parti a toujours tort et la mère bénéficiera, sans coups férir, de la domiciliation des enfants, lui d’un droit de visite et d’hébergement tristement classique.
Or, cet homme raisonnable souhaite la parité et donc la mise en œuvre d’une résidence alternée.
La mère des enfants engage immédiatement une procédure.
Elle réclame, bien évidemment, la domiciliation de ses enfants, et un droit de visite et d’hébergement, ainsi qu’une pension alimentaire.
Mais comble de la curiosité, elle demande l’attribution de la maison.
Je pense que l’excellent confrère qui l’a conseillée avait oublié qu’en matière de concubinage, le Juge aux Affaires Familiales n’est pas compétent pour statuer sur ce genre de demandes.
En droit français, une indivision quelle qu’elle soit ne peut être liquidée que par le biais d’une action exclusivement réservée à la compétence du Tribunal de Grande Instance
Qu’à cela ne tienne, la décision rendue va appliquer la règle mais l’enjoliver à sa façon.
Vous serez certainement intéressés de savoir que j’avais, évidemment, en principal, demandé au Juge de surseoir à statuer sur les demandes concernant les enfants, en priant la mère de commencer par régler le problème de l’indivision
A titre infiniment subsidiaire, il avait été demandé à ce magistrat d’attribuer la maison aux enfants, et de demander aux parents de venir y vivre en alternance une semaine sur deux
Cette formule était parfaitement réalisable, dans la mesure où les locations de studios sur les lieux du litige n’étaient pas très onéreuses, et que la mère, d’autre part, ayant noué une relation extérieure, passait la plupart de son temps chez son nouveau compagnon, tout en maintenant son domicile.
La décision rendue n’est pas allée du tout dans ce sens
En voici le texte :
" ATT/ Que la jouissance divise du domicile conjugal ne peut être le cas échéant, attribué en dehors de la procédure de divorce.
Qu’en l’état de la vie commune simplement maritale des parties, cette demande doit être purement et simplement rejetée faute de dispositions législatives ou règlementaires applicables, étant par ailleurs rappelé à Monsieur que la fixation habituelle des enfants mineurs au domicile de l’un ou l’autre des parents n’emporte pas attribution de jouissance de l’ancien domicile commun, le parent bénéficiant de cette domiciliation étant libre de résider où bon lui semble (entrée en matière et annonce de la suite...)
ATT/ Que la mère et le père ont déclaré conjointement, lors de l’audience, qu’ils ne vivaient pas en résidence séparée et qu’ils avaient donc toujours une communauté de vie avec leurs deux enfants au sein de leur maison.
Il apparaît toutefois opportun de statuer sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale et sur la contribution financière d’entretien et d’éducation du parent ne bénéficiant pas de la domiciliation au cas où le couple se séparerait
Il convient, dans ces conditions, fixer la résidence des enfants chez la mère, en l’absence de demande formulée même subsidiairement en ce sens par le père et d’aménager au profit de ce dernier un droit de visite et d’hébergement suivant les modalités habituelles, de fréquence, (les habitudes de qui ?) en raison d’une fin de semaine sur deux du Vendredi 18h00 au Dimanche 19h00 et la moitié des vacances scolaires.
ATT/ Qu’il convient, aux termes du débat, de fixer à la somme de 200 € par mois et par enfant la contribution financière du père pour leur entretien ".
Je ne sais si l’auteur de l’acte a bien mesuré la portée de ce qu’il écrivait, mais en clair, voici les conséquences pratiques.
De facto, l’homme et la femme vont rester au domicile indivis, et donc vivre ensemble, ce qui veut dire que cette décision ne s’appliquera pas.
Le père va cependant rester avec une épée de Damoclès suspendue au dessus de sa tête quotidiennement en attendant que la mère décide de quitter le domicile et que la décision s‘applique.
En attendant, l’on peut suggérer au couple l’édification d’un mur du style celui de BERLIN au centre de la maison.
Pourquoi la décision ne s’exprime t’elle pas sur la demande subsidiaire que j’avais présentée, d’attribution du domicile aux enfants avec alternance de visites des parents.
Il y a non seulement une omission de statuer mais une erreur dans la rédaction puisque la décision prétend que nous n’avons rien demandé.
La seule solution restant est de faire appel, ce qui a été fait immédiatement.
C’est encore une fois, comme cela arrive dans la grande majorité des cas, le père qui va être obligé d’assumer la charge totale du dossier sur le plan financier.
Où est la justice ?
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